Synchroniquement, Mathieu Madega Lebouakehan et Jean-Bernard Asséko Mvé ont prononcé deux homélies fondées sur la Doctrine sociale de l’Eglise. Comme si le pouvoir était dans le viseur de l’église catholique.
Le pouvoir politique dans le viseur de l’église catholique ? L’un après l’autre, deux prélats viennent de prononcer de véritables sermons publics à l’intention des institutions. Le 8 décembre courant, Mathieu Madega Lebouakehan a fustigé «les slogans creux, les publicités mensongères et les éphémères distractions», invitant le «pouvoir institutionnel» à une «prise de conscience (…) en vue d’un sursaut effectif de souveraineté et de patriotisme et un bon engagement pour le bonheur véritable de toute la population.» Le même jour, Jean-Bernard Asséko Mvé s’est ému du «spectacle désolant et dégradant de la vie sociale en 2019 au Gabon», demandant aux détenteurs des charges publiques de «rendre (leurs tabliers) à Dieu pour qu’il trouve des personnes plus aptes à conduire ce peuple-là, qui mérite d’avoir des dirigeants qui pensent à lui (…) et le conduisent comme de bons bergers vers de frais pâturages.»
La DSE d’une grande utilité
A l’analyse, ni le président de la Conférence épiscopale du Gabon ni le curé de la paroisse Immaculée conception de Bitam ne sont convaincus de l’engagement des dirigeants actuels au service de la communauté. Bien au contraire, ils les jugent trop portés sur le superficiel et pas du tout à la hauteur des défis. Par-delà les considérations partisanes ou individuelles, c’est un coup dur pour le régime. Certains s’abriteront derrière la laïcité pour accuser les deux prélats d’être sortis de leur rôle. D’autres trouveront le propos de Mathieu Madega Lebouakehan trop jargonnant et pas assez explicite. Il y en aura pour rappeler l’attachement de Jean-Bernard Asséko Mvé au regretté André Mba Obame. Il s’en trouvera même pour le soupçonner d’intelligence avec l’opposition, singulièrement l’Union nationale (UN). Mais, tout cela est loin des préoccupations des deux curés : en s’exprimant de la sorte, ils ont agi conformément à la Doctrine sociale de l’Église (DSE), plaçant le pouvoir politique face à ses responsabilités.
Sur le respect de la dignité humaine, la gestion du bien commun, l’implication et la mise en valeur des corps intermédiaire ou encore la solidarité, le catholicisme professe, en effet, des idées précises. Destinée à «guider la conduite de la personne», la DSE vise à conjuguer les efforts des «individus, des familles, des agents culturels et sociaux, des politiciens et des hommes d’État ». Elle entend réconcilier «la vie et la conscience avec les situations de ce bas monde.» En refusant d’y prêter une oreille attentive, le pouvoir commettrait une erreur monumentale. Certes, l’histoire des relations entre l’Eglise et l’Etat est celle d’une tendance à la séparation. Certes, dans ce dialogue, les aspects juridiques et institutionnels priment. Mais, dans le contexte actuel, les enseignements de la DSE peuvent être d’une grande utilité. A tous égards, ils sont d’une réelle pertinence.
Lendemains tumultueux
Comme tous les peuples de par le monde, les Gabonais veulent vivre dans la dignité. S’ils espèrent une gestion plus juste et équitable du bien commun, ils rêvent d’un recentrage de l’État sur ses missions régaliennes. Autrement dit, l’arbitraire, les dénis de droit, le sectarisme partisan, la corruption, l’irresponsabilité et les lourdeurs bureaucratiques ne correspondent nullement aux attentes des populations. Or, ces antivaleurs constituent la substantifique moelle de la pratique politique du régime. A l’opposé, les valeurs de vérité, liberté, paix et justice sont au fondement de la vision de l’Église. Ayant pris la responsabilité de le rappeler, Mathieu Madega Lebouakehan et Jean-Bernard Asséko Mvé sont en droit d’attendre une suite : les institutions s’élèveraient en sortant du mutisme et du surplace, même par simple décence.
Comment s’amorcerait alors cette réponse ? Quelle serait la marge de manœuvre de l’Église ? En octobre 2016, le ministre de l’Intérieur s’était élevé contre une homélie prononcée par l’abbé Dimitri Ayatabe Ename. Prêtant au propos du prélat un «caractère séditieux», il s’en était ouvert au recteur du séminaire Saint Jean, formulant même une mise en demeure. En octobre dernier, le nouveau Code pénal a consacré la limitation de la liberté d’expression des ministres du culte. Aux termes de l’article 320, ils sont désormais passibles d’un «emprisonnement d’un an au plus et d’une amende de 3 000 000 de francs au plus, ou de l’une de ces deux peines seulement» pour des propos «(orientés) vers l’appel à la contestation de l’autorité publique» tenus «dans l’exercice de leur ministère et en assemblée publique.» Devant de telles menaces, on peut s’attendre à des lendemains tumultueux. N’empêche, deux de ses plus illustres représentants s’étant déjà exprimés, l’Église doit pouvoir assumer.
Source: gabonreview