La suspension du président de la Confédération africaine de football (Caf), avant même le terme de son mandat, est la résultante des nombreuses casseroles qu’il trainait.S’il ne semblait craindre rien au départ, Ahmad Ahmad a été rattrapé par les accusations de corruption et de détournement de fonds. Au plan interne et externe, les lanceurs d’alerte ne se cachaient plus en continuant de dénoncer le mode de gouvernance du Malgache. Parmi plusieurs autres observateurs, ils voyaient venir depuis octobre la sentence de la Commission d’éthique indépendante de la Fifa. Prononcée le 23 novembre dernier, elle sonne comme un coup de grâce pour le tombeur du tout-puissant Hayatou.
Beaucoup de dirigeants voyaient en Ahmad l’homme du renouveau qui pouvait redresser l’instance africaine. Le Malgache pouvait se targuer de quelques réformes majeures dans l’organisation des compétitions comme le passage de la Coupe d’Afrique des nations à 24 équipes depuis 2019 et la création d’une Ligue africaine féminine. A son actif aussi, un bilan financier honorable et une bonne gestion des conséquences de la Covid-19.
Mais derrière ce tableau, se cachent des zones d’ombre. Car les quatre ans passés par l’ancien Secrétaire d’Etat aux Sports malgache à la tête de la Caf n’ont pas été un long fleuve tranquille. Sa gestion a souvent été pointée du doigt par certains dirigeants à l’instar de Manuel Nascimento Lopes, le président de la Fédération bissau-guinéenne. « Je n’ai rien contre la personne d’Ahmad mais c’est sa gestion de la Caf qui me pose problème. Il monopolise les choses. Les gens le savent mais ils n’osent pas à en parler. Même quand il commet des erreurs, ces derniers l’applaudissent », s’insurgeait-il.
Quand Pape Diouf alertait…
Avant lui, le défunt président sénégalais de l’Olympique de Marseille (France), Pape Diouf, s’était carrément démarqué d’Ahmad. Dans une tribune publiée au journal Le Monde le 17 janvier 2020, il avait plaidé pour « l’arrivée d’un homme fort à la tête de la Confédération africaine de football ». Il avait qualifié la décision de la Caf de retirer la Can 2019 au Cameroun au profit de l’Égypte de « fumisterie ».
En coulisses, l’organisation procède au licenciement spectaculaire de son Secrétaire Général, Amr Fahmy à deux mois de la Can 2019 au pays des Pharaons. Ce dernier avait adressé une lettre à la Fifa dans laquelle il accuse le patron du football africain « de harcèlement sexuel » et de « corruption ».
En juillet 2019, la BBC en remet une couche, mettant en cause l’ancien homme politique malgache dans une autre affaire financière. Le média britannique révèle que, contrairement à sa promesse faite à son arrivée en 2017 de ne pas percevoir de salaire, le président déchu de la Caf avait bel et bien touché 40.000 dollars mensuels. Ce qui correspond à 480.000 dollars par an sans compter la prime annuelle de 80.000 dollars.
Après deux ans de mandat, Ahmad sollicite la Fifa pour un « audit » de la Caf. Une décision qui crée des remous au sein même du Comité exécutif qui y voit une mise sous tutelle de l’institution mondiale, dont il est pourtant un des vice-présidents.
« Ahmad Ahmad, on a vu ses limites, ses incompétences. Après deux ans de mandat, voilà que, par son incompétence, son ignorance des textes, il amène aujourd’hui la Fifa à mettre son nez dans les affaires de la Caf qui devient néocolonisée », déplorait encore Pape Diouf, décédé en mars dernier de la Covid-19.
Le lâchage de la Fifa
Gianni Infantino, très impliqué dans l’élection d’Ahmad, avait prévenu la Caf dans une lettre au ton assez menaçant en juillet 2019. « Compte tenu des circonstances actuelles, l’administration de la Fifa a déjà recommandé qu’un audit central soit effectué sur tous les fonds avancés de la Fifa alloués à la Caf afin de s’assurer que les fonds ont été, et sont, utilisés correctement et qu’il n’y a pas de preuve de malversation ou de mauvaise gestion ».
Six mois plus tard, la déléguée générale pour l’Afrique, Fatma Samoura Ndiaye qui avait pris ses quartiers au Caire (Égypte) pour s’imprégner des dossiers, est priée de retourner à Zurich (Suisse) suite à une décision du Comité exécutif de la Caf de ne pas prolonger l’expérience. Une décision qui ne serait pas du goût d’Infantino, accusé dès lors par des proches d’Ahmad d’avoir torpillé la candidature de celui qu’il a grandement soutenu pour déboulonner l’inamovible Hayatou.
Après s’être tiré d’affaire dans son audition en France en juin 2019, qualifiant de « fausses, malveillantes et diffamatoires » les accusations de « corruption » et « d’abus de confiance » dont il fait l’objet, le président de la Caf n’a pas échappé aux griefs de la Fifa. Cette instance l’accuse d’avoir « enfreint le Code d’éthique » la veille de l’officialisation de sa candidature le 29 octobre.
Ironie du sort, c’est le patron du football africain qui a fait appel à la toute puissante Fifa pour se donner bonne conscience. Certainement, Ahmad n’imaginait pas sa défenestration quelques mois plus tard par l’un de ses organes.
Un feuilleton dont la prolongation se jouera au Tribunal arbitral du sport (Tas). Tout compte fait, cette affaire plonge l’instance africaine dans un tourbillon.